Elévations 2009

On cherche toujours derrière l'oeuvre, l'artiste et plus loin encore, l'origine, le point de départ de ce monde qui s'ouvre à nous, à notre regard.
D'où vient cet « élan créateur » ? Où trouve-t-il sa source ? Qui provoqua ce mouvement ? Quelle chiquenaude a lancé le pinceau vers une toile blanche qui, à peine noircie s'efface aussitôt devant une autre. Papier blanc, encre noire, comme vie et mort.

Comme deux instants d'un même lieu. Il y a l'avant et l'après du geste, ce qu'on appelle « la trace » et que l'on nomme alors  paysage,  terres noires,  l'origine du monde.

En 1991, Paule Riché construisait un mur sonore dans le cadre d’une exposition à la mairie du XIIIème arrondissement de Paris et nous invitait à franchir le mur par le son, « ce qu'il cache il le sait », puisque,« cet espace fait pour séparer est en lui-même l'unique lieu qui perçoit les deux côtés » disait-elle. À cette époque aussi elle sculptait le béton froid et donnait à voir des personnages écrasés laminés par le fardeau de la vie, se soutenant avecdifficulté, métaphore insoutenable de l'existence, et pourtant travail d'une jeune femme de 24 ans. Avant de choisir l'encre de Chine et le papier de riz, en 2000, elle piégeait la vie et son envol dans les ailes des insectes. Sous la binoculaire du musée Réatu, à Arles, le regard du spectateur cherchait dans l'infiniment petit les traces de la nature et de l'artiste. En 2007 dans une chapelle d’un hameau du Champsaur, les yeux des spectateurs suivaient un chemin d'encre sur 25 mètres de long qui, des dalles en pierre du sol, montait ensuite jusqu'à l'entrait d'une vieille charpente 10 m plus haut et semblait se perdre dans les toiles d'araignée.Ce qu'elle tracte dans son trait, cette trace, c'est bien un tracas, souci de la vie, souci philosophique, souci de conjurer la mort dont la trace est partout, mais prosaïquement aussi, souci d'enfanter, de conduire vers la maturité, d’éduquer. Paule Riché élève le regard, élève l'exigence, élève ses enfants. Toute sa vie n’est que ce souci d'élever, de tirer vers le haut, notre regard, nos pensées, notre méditation : ce qu'elle traduit par ces mots : « entourer le monde de beauté ».Mais élever, elevare, c'est aussi, étymologiquement, soulager, lever ce qui pèse, lever la douleur, lever le mal comme on le dit d’un rebouteux qui soulage la brûlure. Sa peinture est un combat contre la pesanteur du mal, un onguent, un émollient. Le kakémono en « bande Velpeau »…clin d’œil à Alechinsky (1).
La création chez Paule Riché va du lourd ou léger, du massif au ténu, du bloc à la feuille et pour tout résumer du bas vers le haut.Alors, quelle origine à cette peinture qui s'élève ?

Pour l’artiste, elle est dans la « vibration des Nymphéas de Monet » : le révélateur, la révélation, le lieu d'une quasi expérience mystique
de sa jeunesse car : « c'était là. »

Cette vibration était déjà une réponse à un questionnement présent, et aussi le début d'une quête, tant il est vrai qu'en matière de mystique, le questionnement premier n'est pas à la recherche d'une réponse éternelle mais semble produire un questionnement second.
Ainsi peut-on dire du mystique qu'il s'abîme, et d’évoquer comme on l’a si souvent fait, le palimpseste, pour parler d’une création qui n’est jamais qu’une re-création. Mais alors que certains peintres grattent les couches pour faire apparaître le caché, Paule ajoute « éternellement » du noir sur du blanc et ainsi, faire voir l’invisible.Penchée sur sa toile posée au sol, qu'elle piétine même, la caressant d'un pinceau ou d’un plumeau comme on bénit d'un rameau de buis, elles passent, elle de sa position animale et la toile de sa position horizontale, l'une à la position humaine et l'autre à la verticalité. Les derniers pigments : or du sacré, en particulier, sont appliqués avec le doigt sur un support déjà tourné, orienté vers le ciel. Et le geste du peintre est alors le même que celui de l’officiant au moment de «l’élévation ».Consacrer sa vie à la peinture ? Plutôt : consacrer sa vie, par la peinture.« Un être humain s'adresse à nous, dans sa fragilité, dans son exigence elle happe ce qui reste de pureté dans notre regard, d’innocence. Renvoyés à notre vie propre, nous suivons les lignes sombres ou lumineuses, ces flammes verticales ou ces sentes horizontales. Nous y trouvons un sens, peut-être celui d'un âge d'or, d'une origine, blanc, totalement comme l'est, de Chine, ce papier de riz, fragile.

Cette histoire inversée qui s'inscrit comme on lit, quand on sait, la vallée au sommet du synclinal perché.Et tout de noir, parfois, c'est pourtant le soleil que nous voyons car dans l'encre, c'est la braise refroidie en charbon, et dans l'Orient du papier, la représentation ou parfois hélas, l'illusion, de la sagesse.À quoi tient notre émoi à la peur autant qu'à la joieà l'erreur mais tant pis, notre fragilité, c'est la déchirure du papier, marouflé comme on borde un bébé, et l'enserre mais d'amour. Le monde de Paule Riché est sombre comme le chœur d’une chapelle romane qui, au moindre rayon de soleil s’éclaire par endroit et se colore : pour que l’homme puisse passer du recueillement à l’émerveillement.

L’expérience mystique est un voile noir traversé de fulgurants éclairs lumineux : le peintre dispose de l’encre et espère la lumière. »François Rousseau, 2009

(1)Il y a dans une des marges de Central Park une tête d’homme bandée. C’est la bande, du type bande velpeau, qui est la matière même du visage. Pierre Dumayet in Alechinsky, Le pinceau même, Galerie Lelong, Paris, 2001.