Encres et terres noires 2006

L’artiste française Paule Riché vit dans les noires collines de marnes des Hautes-Alpes,où elle peint de grands formats, parfois en triptyques, en utilisantles techniques à l’encre des peintres de paysages orientaux.
Le poème est une peinture invisible La peinture est un poème visible Guo Xi Il est dit qu’avant la rencontre entre leur pinceau et le papier, les moines taoïstes méditaient pendant des années sur l’œuvre à venir .L'intérêt pour les travaux de ces moines du IXe siècle et pour les philosophies bouddhistes et orientales influencent la peinture de l’artiste française Paule Riché, ancienne étudiante de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris de 1985 à 1990.
Dix ans plus tard, en 1996, Paule Riché quitte son poste de professeur d’arts plastiques de la ville de Paris, emballe encre, pinceaux et papiers, réunit sa famille et déménage dans les Hautes-Alpes pour accomplir un rêve d’enfance : vivre près de la nature où elle trouve l’inspiration depuis dix ans . Le mot chinois correspondant au paysage shan shui, est habituellement traduit par « montagnes et eau » ;la descente de l’eau et la poussée des montagnes représentent le yin et le yang, ces deux principes fondamentaux opposés et complémentaires sous-tendant la structure du monde.

Les Taoïstes voient la nature comme un lieu d’accueil sacré et pense que les montagnes sont emplies d’une énergie essentielle, reliant terre et ciel. Paule Riché commence ses formats monumentaux sur le sol, évoluant comme une danseuse sur scène, légère et aérienne. Tantôt utilisant de gros pinceaux de bambou en d’amples gestes elle trace de larges voies à travers son papier, tantôt soulignant délicatement les contours, elle fait naître les montagnes intemporelles. A l’aide d’une brosse largement fournie de crin de cheval, en un lavis plus ou moins riche en eau et en pigment soluble, elle fait apparaître des nuances de gris et de noirs, opaques ou translucides. Puis d’un plumeau imprégné d’encre, elle caresse doucement le papier, telle la brise sur l’eau calme d’un lac déposant légèrement en surface les traces de son passage.L’encre de Chine noire pénètre dans le papier de riz humide, tourbillonnant, s’étendant et se diffusant autour des fibres du papier.
Parfois fluide elle est absorbée, parfois épaisse telle de l’huile, elle reste en surface.La combinaison des gestes de Paule Riché, du papier de riz et de l’encre permettent l’éclosion de paysages sacrés, révélant montagnes, ciel, rivières et toutes les courbes et fissures de la terre.Après avoir accrochée ses panneaux d’encres sur le mur, Paule Riché réfléchit, regarde, attend, ferme les yeux à sa peinture, regarde de nouveau ; s’approche avec sa palette multicolore; puis recule, réfléchit une fois de plus pour finalement s’attaquer à sa peinture. Comme si elle appliquait un maquillage sur les formations terrestres, Paule Riché étale de petites parcelles d’or avec son pouce. Alors qu’en de véritables massages, elle fait pénétrer les pigments dans le papier, la lumière traverse les lointaines collines et glisse à travers les brumes.

Un seul coup de pinceau peut créer un chef-d’œuvre mais on doit savoir exactement où celui-ci est nécessaire. L’élégant travail du pinceau,les couleurs profondes et saturées contrastants sur un fond noir et blanc omniprésent, produisent une impression de calme, les effets magnifiquement modelés et décoratifs ne sont pas sans rappeler les origines de la peinture classique japonaise de l’école Kano.

A travers un échange patient et silencieux avec son travail, il semble presque que Paule Riché attende que le papier lui indique où les fleuves coulent, où les montagnes émergent, où les nuages enveloppent une forêt, et où les mers se soulèvent en tempête. Il n’y a aucune urgence, ni trace d’inspiration instantanée , mais plutôt une dualité entre calme et anticipation ; une forme de peinture méditative qui cherche les secrets de la sagesse de la nature.
Si le Tao peut être traduit comme « la voie »,le chemin du vide au travers duquel toute réalité peut être découverte, alors l’art de Paule Riché coule
le long de ce chemin.Voici l’histoire de la création d’un triptyque, d’une femme, peintre, mère et conjointe qui a fait le choix de suivre sa muse et de réaliser son rêve. Et si la vie dans un petit village loin des lumières de Paris a ses inconvénients, Paule Riché a choisi de suivre le sacré, tout en relevant le défi d’élever sa famille et de peindre entourée par les collines de marne des terres noires.

Ecrits et photographies de Duane Prentice