Salagon 2009

Paule Riché salagon

 

 

Vrai lieu

 

Qu'une place soit faite à celui qui approche
Personnage ayant froid et privé de maison.

Personnage tenté par le bruit d'une lampe,
Par le seuil éclairé d'une seule maison.

Et s'il reste recru d'angoisse et de fatigue,
Qu'on redise pour lui les mots de guérison.

Que faut-il à ce coeur qui n'était que silence,
Sinon des mots qui soient le signe et l'oraison,

Et comme un peu de feu soudain la nuit,
Et la table entrevue d'une pauvre maison ?

 

Yves Bonnefoy, Vrai Lieu.

 

Deux ou trois poèmes d'Yves Bonnefoy suffiraient, j'en suis certain, à rendre compte desa démarche, à expliquer, à rendre présente et parlante l'oeuvre de Paule Riché àSalagon. Ce que j'ai dit n'est donc que redite. Bonnefoy m'aide, me prête des mots, m'entraîne et m'en montre d'autres. Je le suis comme un disciple appliqué, et en apprenti jardinier, je cueille les simples qu'il me désigne du doigt. Yves Bonnefoy estaussi présent sous mon crayon hésitant que dans l'encre de Paule Riché ; d'un commun accord nous lui rendons en passant ce petit hommage.

 

Etre là

 

Vouloir dire Salagon c'est parler d'un « vrai lieu », et dans les poèmes d'Yves Bonnefoytout est dit du lieu et de la démarche de l'artiste. Il faut y trouver sa place, et vouloir la lumière, le feu, la lampe, il faut avoir froid, c'est-à-dire en recherche et avoir brisé touteattache: sans maison. C'est dans une sorte de nudité que l'artiste se présente au seuil du prieuré, et recrue d'angoisse et de fatigue, elle vient chercher dans la création laguérison. A Salagon l'homme retrouve son unité, les simples et les voûtes de prière cimentent à nouveau l'homme divisé, éparpillé. Le vrai lieu est un lieu de guérison, etcela rime avec « oraison » et « maison ». Salagon est une grande maison : son humbletoit à deux pans, sa façade lisse où se lisent, en « trous de Boulin », les efforts desbâtisseurs, (émouvant comme cicatrices au visage de l'être aimé), son portail de plainpied et ses deux fissures par où s'équilibrent l'éphémère et l'éternel comme deux ridesde rire au fronton du prieuré, tout y donne la sensation qu'ici est un foyer. Ce qu'a compris Aurélie Nemours. Ce qu'a voulu redire à sa manière Paule Riché. À Salagonbrille la lampe rouge symbole de l'Esprit.

Paule aimait ce lieu. Avant d'y exposer dans le cadre de Présence Terre Univers, ellefréquentait les jardins et rêvait dans ce prieuré, à des rencontres de peintre et de musiciens.
Il a fallu être dans cet endroit, à sa place, trouver sa place, et donc chercher, sedéplacer, sentir sous les pieds la dalle irrégulière, fermer les yeux et sentirau-dessus desoi la hauteur de la voûte.« Cintrer son âme. »
Salagon austère de février, quand le vent souffle le froid.Salagon du printemps, chaud, odorant, bruyant parfois du chant des batraciens ou du babillage des visites. Être là : parcourir au matin ce court chemin vers les bâtiments et faire retraite.Car c'est trouver sa place ; on ne s'impose pas au lieu, au « vrai lieu », on approche etla lumière viendra après silence et oraison.
Paule Riché fait de belles rencontres, son chemin n'est pas celui du pèlerin obsédé parsa fin, ni l'errance du contemporain encombré d'objets ou d'amis, ni la course, ni la fuite, ni l'obsession. Sa trajectoire, son chemin est celui de l'aveugle qui contrairement à la métaphore commune, sait où il va, se représente le monde, l’occupe, contourne les obstacles et sent la présence de l'autre, le monde, l’univers.

 

Peindre là (l’artiste en jardinier ?)

 

Debout sous les voûtes, dans sa nudité humaine, elle prend la dimension du lieu. Parles yeux, par le contact de la pierre sous les pieds, par l'air frais qu'on n'y inspire, par lesilence léger qui appelle le chant.Aurélie Nemours était déjà là, ses vitraux imposent une lumière, une présence quePaule Riché ne pouvait ignorer ; ainsi selon ses propres mots a-t-elle voulu par cohérence n’entrer ni en concurrence, ni en conflit avec la transparence des vitraux etdonc, à la « couleur lumière » de ceux-ci, elle a opposé une « couleur matière », guidée en cela par les taches rouges que le soleil déplace sur les dalles de pierre. Le triptyque de la nef collatérale est donc le répons d’une litanie déjà reprise par Aurélie Nemours.Cette litanie qui résonne depuis le XIIe siècle sous ses voûtes, qui a la forme d'unefresque ou d'un petit bas-relief, d’un rinceau ou d'un chapiteau. Ainsi se passe le témoin d'artiste à l'artiste, de femme à femme. Signe de reconnaissance, de respect.
Paule peint comme jardine le jardinier, accroupie sur le papier déroulé au sol, à quatre pattes, assise parfois. Jamais comme à Salagon l'image n'a été aussi forte et la comparaison justifiée. Elle a la patience du jardinier et les ongles noircis, elle arrose la toile, l'ensemence, elle y revient, amende, taille, élève les yeux parfois pour écouter le chant d'un oiseau. Tous deux, peintre et jardinier, sont les artisans de l'horizontalité,tous deux cependant, travaillent à cette élévation de la matière et partant, de l'esprit.

 

Posture de jardinier, posture de peintre, posture également d'orant, pour qui la terre est ce que Dieu surplombe, pour qui le contact du sol, la souffrance des genoux, le froid de l'immobilité sont offrandes et degrés vers l'éternité. Partir de soi et de la terre pour voir monter au ciel un arbre, une peinture, une prière.Salagon permet ces rapprochements. Paule Riché n'a pas refusé de se prêter à ce jeumétaphorique. À eux trois, ils concentrent cette exigence, ce souci étranger à nos vies
modernes : croire sans forcément comprendre, accepter le contingent sans désespérer, aimer la création sans rejeter l'homme.
Il fallait en plus de ce triptyque trois autres « fenêtres ouvertes sur autre chose », sansrapport au lieu, sinon la verticalité, qui ne soient donc pas redondantes.Du plus clair, dans la première travée, qui reprend la lumière dont on jouissait à l'extérieur, l'entremêlant aux couleurs bleutées du mur, au plus sombre qui nous amène vers le choeur. Légèrement décalés du mur, les kakémonos flottent au gré des courants d'air, se déforment avec l'humidité de l'air et offrent à la rudesse du support un contrepoint aérien.

 

Laisser là

 

Le temps moyen passé devant une peinture est de quatre ? minutes. Bien sûrl'éducation du regard n'est pas encore faite. Un plan de télévision doit durer au maximum trois ? minutes. Il faut que la roue tourne, il faut bouger. Ceux qui ont acceptéde rester quelques heures devant les Nymphéas de Monet savent et ont appris dans leur chair ce que peut une oeuvre si on lui en donne le temps.Pro fanum : devant le temple, qui n’est plus un lieu de culte et de prière mais seulement de souvenirs, de recueillement. Il faudrait laisser la boue de nos souliers : j'entends,cette agitation, cette rapidité. Laisser à la pupille le temps de se dilater, et au corps le temps de trouver dans cet espace son équilibre, sa place. Il reste quelques traces du sacré dans ce lieu, les fresques encore visibles du mur Sudest, les petites sculptures bas-reliefs disséminées, quelques traces d'un art tout entiertourné vers Dieu. Le reste, à mon sens, regarde les hommes.
Cet art qui s'expose en grandes toiles verticales élève le regard de l'homme mais ne lui désigne pas Dieu. Le regard qui suit la peinture de bas en haut se perd dans le blanc tacheté sous la voûte mais il n'est pas renvoyé à la représentation ni même à l'évocation de Dieu. Pas de crucifix, pas de citations évangéliques, juste la pierre calcaire soigneusement appareillée, support des ouvres exposées. Pas de Dieu mais l’homme dont le papier de riz peut symboliser la fragilité.
le regard s'élève et redescend, il retrouve ses proches, à ses côtés.

 

Même s’ils peuvent évoquer les détours baroques, les lignes et les pigments de PauleRiché rappellent ce que dit René Huyghe dans Formes et Forces de « l'intrusion des ferments barbares, cette influence orientale dans les lignes du Moyen Âge inspirées dela grammaire des formes fixées par l'Antiquité ». Oui, c'est bien une sorte d'intrusion orientale, asiatique, d'un art plus « orienté vers l'expérience de la durée que vers cellede l'espace ». À la statique solide et ancrée dans l’espace des arcs romans organisantet répartissant les forces, Paule Riché oppose la dynamique fluide du papier que l'ondéroule à la manière des rouleaux japonais ou des premiers parchemins.

 

Trajectoire.

 

C'est un puits de lumière, cette porte ouverte sur les jardins, par où pénètre le visiteur.Tout de suite à sa droite des fresques du XIVe siècle à moitié effacées, à sa gauche,une série de bannières, kakémonos déroulés de la voûte jusqu'au sol. Pour voir la première il faut déjà faire demi-tour.