Arts Décoratifs Paris 2016

 

Paule Riché est devenue peintre, sans le savoir, le jour où elle fut en présence des nymphéas de Monet. Cette vibration des couleurs qu'elle a retrouvées plus tard chez Joan Mitchell l'a paradoxalement amenée, via Zao Wou Ki, à travailler toutes les valeurs du noir de l'encre de Chine sur le papier de riz.

Pourtant, admise aux Beaux-Arts de Paris après une licence d'histoire de l'art, c'est vers la sculpture qu'elle se dirige non sans avoir expérimenté les différents modes d'expression artistique que sont le collage, le dessin, le vitrail, la peinture acrylique, et le modelage. Puis délaissant le creuset artistique de la capitale et sa nouvelle fonction de professeur d'arts plastiques de la Ville de Paris, c'est à Serres dans les Hautes-Alpes qu'elle construit une famille et un atelier où s'élaborent depuis 20 ans ces longs kakémonos dont la fragilité, la légèreté, la ténuité sont le contrepoint des sculptures en béton de ses débuts.

Cette idée d'un monde sauvé par l'art et la beauté est l'une des clés pour comprendre l'univers de Paule Riché et la logique de ses recherches. Le doute et le questionnement permanent en sont les corollaires. Le maniement, la pratique de l'encre ne tolère apparemment que peu de certitudes. Le trait premier sur le papier humide diffuse soudain, échappe au peintre et c'est alors qu'il faut « faire avec », élaborer et parfaire ce que le hasard a produit ; la gestuelle quasi calligraphique, la concentration première ou au contraire l'envolée chorégraphique face au papier posé au sol, précèdent un travail minutieux, réécriture, palimpseste, pigments, craie, pastels déposés avec les doigts, sur l'encre alors verticale. Un travail qui n'est pas sans évoquer ce qu'ont dû faire les peintres premiers de la grotte Chauvet. C'est dans une caverne métaphorique, pleine d'ombres projetées et de lumière incertaine que prennent forme et l'oeuvre et la pensée, liées, c'est le cas de le dire, comme l'envers et l'endroit d'une feuille de papier.

Au doute de la création, succède alors le doute de la monstration. Sortir de la caverne, c'est exposer et s'exposer… aux critiques, à l'incompréhension, au déni, (à la violence parfois d'une encre saccagée par un visiteur)… Mais sortir de l'atelier fait partie de cette recherche permanente du peintre. Les résidences d'artistes ont été jusqu'à présent un extraordinaire et stimulant moyen d'enrichir sa peinture. Se confronter en tant qu'artiste d’aujourd’hui au monde du Moyen Âge dans une abbaye romane ou à la technologie d'une scierie du XIXe siècle, voilà les sortes de défis que Paule Riché aime relever.

Pour le moment, elle explore les relations complexes de la peinture avec la musique. Un projet autour des suites pour violoncelle de Bach, en collaboration avec un luthier et des musiciens l'amène à relire les essais sur la synesthésie. Parallèlement elle renoue d'une certaine manière avec le volume et la sculpture en préparant une exposition avec une céramiste. Et puis bien sûr l'appel d'offre de Pierre Frey au musée des Arts décoratifs de Paris…

Répondre à un appel… voilà sans doute la formule qui résume parfaitement la démarche de Paule Riché. Cette ouverture sur le monde, sur les mondes alentours, est une réponse que l'artiste propose à un appel. Pour entendre l'appel, pour voir l'autre, il faut être attentif, à l'affût. Il faut vouloir aussi la rencontre, ne pas la craindre. Le monde des arts décoratifs, le monde coloré et vivant des papiers peints de Pierre Frey a agi comme agit la musique qui nous fait imaginer, comme le chant d'oiseau qui fait sortir de la chambre, comme une mappemonde qui donne envie de voyager. 

Ce qui est commun rapproche, ce qui est lointain appelle. Lés et kakémonos ne sont pas sans parenté, quant au monde du papier peint c'est l'inconnu auquel l'artiste peut (et doit) donner forme et contenu.

François Rousseau, mai 2015 pour l’exposition au Musée des Arts Décoratifs de Paris

« Que ce soit dans la confrontation au patrimoine, dans la rencontre de la poésie ou de la musique… il s’agit toujours pour moi de trouver, ou tout du moins d’explorer une sorte « d’essence » de l’acte créateur, une raison à ce geste, une origine commune à toutes ces différentes manières de décliner par l’image, par le son, par le mouvement, par la mélodie, la même émotion primaire, ce noyau « synesthésique », ce donné primordial que nous devons partager ; et transmettre ainsi notre part d’humanité. Cette invitation de Pierre Frey m’a tout de suite intéressée , elle s’inscrit naturellement dans la suite de résidences d’artiste autour de différentes thématiques , c’est pour moi l’occasion de continuer d’approfondir et compléter les  recherches qui orientent mon travail et l’inscrivent dans une forme d’interdisciplinarité. »   

Paule Riché Mai 2015